Afin d’être en mesure de bien saisir l’ampleur du champ des possibles lorsqu’il est question d’interventions en lien avec le patrimoine, il est intéressant de se pencher sur deux qualificatifs qui sont souvent rattachés à cette notion.
De manière générale, le patrimoine se décline en deux grandes formes ou catégories, soit le patrimoine matériel, que l’on associe au cadre bâti et aux éléments tangibles, et le patrimoine immatériel, associé pour sa part à des coutumes, des connaissances, du savoir-faire et des pratiques.
La conservation du patrimoine matériel comme ancrage des pratiques occidentales
Historiquement, on remarque qu’en Occident la conservation du patrimoine concerne principalement les formes bâties et les éléments matériels. Cette tendance domine aussi dans la sphère internationale, tel qu’il est possible de le constater en consultant diverses conventions dont celle de l’UNESCO de 1972, qui définit le patrimoine culturel comme étant des monuments, des ensembles et des sites, ce que l’on associe désormais au patrimoine matériel. Elle marque aussi les manières d’agir sur le patrimoine, ayant un objectif clair : conserver dans leur état initial les structures bâties, allant même dans certains cas jusqu’à les muséifier.
Le Colisée de Rome, inscrit sur la Liste du Patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1980, est un exemple représentatif de ces pratiques occidentales. Afin de rappeler le passé du lieu ainsi que les prouesses architecturales et techniques de l’époque, il a été question d’en préserver les éléments tangibles, soient les ruines, et de les rendre accessibles au public en muséifiant le site. Dans les dernières années, diverses interventions ont été réalisées, dont la reconstitution du plancher et la restauration de l’hypogée, dans l’objectif de conserver la forme du bâti dans l’espace.

La conservation du patrimoine en Orient : une approche valorisant les éléments intangibles
Il est intéressant de contraster cette vision du patrimoine à certaines pratiques observées en Orient, qui intègrent depuis longtemps des éléments de patrimoine immatériel à la conservation même du patrimoine matériel.
Un exemple marquant est celui du sanctuaire de Kasugataisha, situé à Nara, au Japon. À tous les 20 ans, les bâtiments sont réparés lors d’une cérémonie par des artisans contemporains selon les techniques anciennes. Ce n’est donc pas seulement la forme qui est préservée dans le temps et l’espace, mais aussi les manières de travailler développées il y a de cela plusieurs centaines d’années. La reconnaissance de cette approche, et d’autres illustrant la différence entre les visions occidentales et orientales, a notamment mené, en 1994, au Document de Nara sur l’authenticité (ICOMOS, 2011).
Nouveau paradigme
De plus en plus, les pratiques occidentales évoluent et considèrent à la fois les aspects matériels et immatériels du patrimoine. Sur la scène internationale, l’intégration du patrimoine immatériel dans les pratiques de conservation est plutôt récente. Notons entre autres la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, qui a été adoptée par l’UNESCO en 2003. Au Québec, c’est en 2012 que la Loi sur le patrimoine culturel intègre la reconnaissance de différents savoir-faire liés à l’histoire et à la culture.
En regard au patrimoine industriel, ce changement de paradigme permet de conserver et mettre en valeur des éléments à la fois tangibles, comme les infrastructures et les bâtiments, et intangibles, comme les techniques de production et le rôle de l’industrie dans le développement et l’histoire des communautés.
Cette approche reconnaissant le patrimoine matériel mais également le patrimoine immatériel est à la base de la réflexion entourant le redéveloppement du site de la Dominion Bridge Co et la mise en valeur de son patrimoine.
Sources
ICOMOS, 2011, Document de NARA sur l’authenticité (1994), 11 novembre 2011. En ligne : https://www.icomos.org/fr/notre-reseau/comites-scientifiques-internationaux/liste-des-comites-scientifiques-internationaux/179-articles-en-francais/ressources/charters-and-standards/186-document-de-nara-sur-lauthenticite.
Kasugataisha, 2009, About the Shrine. En ligne : https://www.kasugataisha.or.jp/en/about_en/.
Publications Québec, P-9.002 – Loi sur le patrimoine culturel, actualisé 10 décembre 2020. En ligne : http://legisquebec.gouv.qc.ca/fr/ShowDoc/cs/P-9.002?langCont=fr.
UNESCO, s.d., Centre historique de Rome, les biens du Saint-Siège situés dans cette ville bénéficiant des droits d’extra-territorialité et Saint-Paul-hors-les-Murs. En ligne : https://whc.unesco.org/fr/list/91/.
UNESCO, 1972, Convention concernant la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel, 21 novembre 1972, 15 pages. En ligne : https://whc.unesco.org/archive/convention-fr.pdf.
UNESCO, 2003, Texte de la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel. En ligne : https://ich.unesco.org/fr/convention.
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